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Cindy Wright & Kris Martin. Koksijde
Rencontre entre deux artistes flamands, la peintre Cindy Wright et le sculpteur Kris Martin à la chapelle de Koksijde. Sous couvert de beauté, la convocation du plus profond de nos émotions.

Dans une chapelle, non loin de la plage, entre Dunkerque et Ostende, une nouvelle découverte de Guy Gilsoul.
Il s’agit d’une rencontre entre deux artistes flamands, la peintre Cindy Wright (née en 1972) et le sculpteur Kris Martin (né en 1972) dans une chapelle située à Koksijde. Un duo qu’au départ, visuellement, rien de relie. Et pourtant ! L’opposition entre les deux œuvres, justement, provoque une tension qui force à rejoindre s’interroger, en final sur une même préoccupation. Un identique besoin qui, sous couvert de beauté, convoque le plus profond de nos émotions. Ou plus exactement, celles qui nous habitent à la perspective de l’ultime moment du cheminement de la vie (la nôtre comme celle de la nature, voire d’une société suicidaire) que les œuvres désignent dans le silence pétrifié de leur présence.
Observons. Au départ, un ancrage local qui en appelle autant à la réalité du quotidien (les jeux de plage par exemple) qu’à l’histoire de l’art flamand. Et plus particulièrement à celui des Primitifs comme Van Eyck, son regard sur l’objet, sa glorification de l’instant figé, la rigueur de son métier et, en final, un sentiment de distanciation juste posée sur le monde.
Chez Kris Martin, la réalité du quotidien (jusque –et justement- dans sa banalité) devient comme chez le Primitif gantois, le point de départ d’une réflexion qui s’incarne à partir d’un objet auquel on n’accorderait aucune attention si… Le sculpteur porte en effet son choix sur de simples ballons comme on en voit en si grand nombre sur la plage toute proche et que l’on voit, emportés par le rire des enfants et la force du vent.
Ce choix qui en appelle au jeu peut paraître étrange à ceux qui se souviennent d’une autre réalisation minimaliste proposée voici quelques années. Soit, un cadre métallique vide reprenant l’exacte dimension du célèbre polyptique de « L’Agneau mystique » que Kris Martin avait posé sur le sable, face à la mer et au ciel, captant ainsi autant le lointain que la lumière, les reflets et le mouvement de l’eau. L’œuvre, si simple dans son concept amenait à son opposé : ressentir dans ce vide encadré, un « plein » de sens. Un véritable appel « religieux ».
Cette fois, de manière tout aussi minimale, incluant une expérience personnelle (le décès d’enfants de son entourage) il ne propose en effet qu’une série de ballons de plage, que l’on connait légers et colorés mais qu’il métamorphose en les réalisant en terrazzo (un béton poli et colorié) et en les disposant sur l’espace vide du sol. Du fait de leur poids (150 kilos) et de leur texture, de par le vide qui les sépare les uns des autres sur le dallage de la chapelle et l’inattendu de leur présence, le signifié de cet objet de jeu s’inverse passant de l’insouciance à la pétrification. Ils disent l’insupportable, ils désignent la mort. Lourde. Opaque. Insupportable. Les ballons se sont figés.
C’est aussi du chemin qui mène du vivant à son contraire, mais d’une manière qui convoque davantage le « plein » que nous invite à rejoindre les peintures monumentales de Cindy Wright.
Ce sont, sur de grands formats, des bouquets de fleurs tels qu’en produisaient les peintres flamands des XVIe et XVIIe siècles. Ces derniers, y posaient une réflexion (voire une morale) sur le temps, l’usure, la vanité en offrant à l’observateur, des lieux de méditation où, depuis les boutons de fleurs jusqu’aux pétales tombées et les transparences des glacis aux éclats de lumière, se perdait le regard. Cindy Wright en actualise le propos. Dans l’espace des œuvres s’additionnent, s’entremêlent et se superposent diverses fleurs mêlant les saisons et les différents stades de fraîcheur à partir de véritables bouquets amenés dans l’atelier qu’elle peint avec le réalisme non pas photographique (la vue de loin) mais avec la gestuelle d‘un peintre qui sait comment faire entrer « l’air » dans les couleurs. En approchant, on remarque alors, enfoui dans ces parures végétales, l’une ou l’autre présence du monde présent, le nôtre, fait de fleurs artificielles, d’objets à jeter (comme les canettes, les emballages froissés) mais aussi de la finitude (un squelette d’oiseau) ou de l’éphémère (quelques papillons dont les ailes sont si proches des pétales). Ce faisant, et à la différence des peintres anciens, ces « intrusions » renvoient aux menaces d’un monde à la dérive qui, ainsi, superposés à un narratif connu (le temps qui passe à l’image des fleurs éphémères), elles réorientent le sens en désignant, mais d’une autre manière, la colère qui nous habite face à l’inéluctable dont ici, nous avons semé les graines.
Ainsi, comme chez Kris martin, ces toiles nous font passer du ravissement à son contraire allant de la légèreté de ton à la sévérité du constat, des beautés apparentes aux retours essentiels même si pour l’un, le vide joue un rôle premier alors que l’autre nous plonge dans son contraire étouffant… Du coup, par-delà, c’est peut-être bien d’une colère dont il est question dans ces silences. Une colère que souligne le titre de l’exposition choisi par la commissaire Femke Vandenbosch, « Rage, rage ». Deux mots empruntés à un poème de Dylan Thomas dont on retiendra la phrase entière : « Ne va pas doucement dans la nuit. Rage, rage contre la mort de la lumière ».
Guy Gilsoul
Koksijde, chapelle du Rosaire (jusqu’au 31 août).
www.casinokoksijde.be/kapel-rozenkrans